La Biennale di Venezia - 55. Exposizione Internazionale d'Arte

En ce très chaud mardi d'été, il est plutôt conseillé de s'abriter. Les Giardini ont l'avantage d'offrir des spots ombragés et aussi d'accueillir les pavillons historiques de la Biennale d'art contemporain de Venise. Impossible bien entendu d'être exhaustif à son sujet. 88 pays participent à l'événement. Au delà des Giardini, on retrouve des artistes autour de l'Arsenale et un peu partout dans la ville. La sélection suivante est 100% subjective. Pas de mots sur l'Angola qui a gagné le Lion d'or du meilleur pavillon national de cette édition 2013 mais retour en images sur des coups de cœur. Commençons par le plus accueillant : celui de la Grande Bretagne of course.C'est au jeune artiste Jeremy Deller que l'on a confié le pavillon. En face de nous, un aigle géant agrippe une pauvre voiture. 


A gauche dans l'entrée, les visiteurs peuvent repartir avec la bête, imprimée au tampon encreur sur un carton A4 avec le nom de l’œuvre en bas : A Good Day For Cyclists. British Humour aurait pu être le titre de l'exposition si Deller n'avait choisi English Magic. C'est aussi le pays du rock n' roll et, passé l'aigle, on se retrouve face à une carte de la Grande Bretagne parcourue de traits rouges. Ils retracent l'itinéraire de la tournée de David Bowie en 72-73. Tout autour de la salle, ont été exposées des photos prises sur le leg britannique du Ziggy Stardust Tour. Et pour confirmer la grande convivialité de ce pavillon, un merchandising spécifique est disponible et on vous offre même le thé. So British !

 
 
 

Chaque pays ne choisit pas forcément, loin de là, un de ses  ressortissants pour se représenter. Il arrive même que des pays voisins échangent leurs pavillons comme c'est le cas entre la France et l'Allemagne cette année. D'origine albanaise et domicilié à Berlin après avoir vécu à Paris, Anri Sala mène le projet pour la France. Son travail se fait essentiellement sous forme de vidéos (le remarquable 1395 Days Without Red sur le siège de Sarajevo) et même si ces œuvres ne se vendent qu'à hauteur de dizaines de milliers d'euros, sa réputation est grandissante. Sa récente exposition au Centre Pompidou en témoigne. Il avait imaginé son projet pour l'espace du pavillon allemand. tout en représentant la France. Ce qui tombe plutôt bien car l’œuvre d'Ai Wei Wei choisie par l'Allemagne va plutôt bien dans le pavillon français. La pavillon est séparé en trois salles. Celle du centre offre la vidéo la plus marquante. On y découvre une vidéo HD présentant en 20 minutes deux mains gauches appartenant à deux célèbres pianistes Louis Lortie et Jean-Efflam Bavouzet (choisis par Anri Sala) jouer le Concerto en ré pour la main gauche de Ravel. L’œuvre de Sala est intitulée RAVEL RAVEL UNRAVEL. Ce dernier verbe signifie démêler. Le travail d'une jeune Dj représentée dans les autres pièces du pavillon. Tout d'abord, on la voit sans musique puis dans la dernière salle en train de mixer les deux interprétations. Anri Sala était également particulièrement intéressé par les qualités de résonnance du pavillon allemand. Pour l'Allemagne présente dans le pavillon français, c'est l'artiste chinois Ai Wei Wei qui impressionne. La Chine est devenu l'eldorado de l'art moderne et contemporain. Les salles de ventes aux enchères battent des records et les tableaux des artistes chinois Zeng Fanzhi ou Zhang Xiaogang  s'arrachent à coups de millions. Ai Wei Wei est loin de ces chiffres là (un peu plus de 1 million en 2011-2012 contre plus de 30 et 20 millions de recettes pour les deux cités) mais sa réputation mondiale les dépasse. A contre courant du pouvoir chinois, il a pu être emprisonné ou voir son atelier rasé mais même quand il sort un album de rock (vendu comme du metal) difficilement écoutable, on en parle partout. Ai Wei Wei est une star. On se souvient avec émotion le Grand Hall du Tate Modern garni en 2011 de millions de graines de tournesols en porcelaine et de quelques lycéens lui laissant un message par webcam interposée. Présent à d'autres endroits de Venise, il marque les esprits en disposant 886 tabourets à trois pieds les uns sur les autres. Rappelant une pièce d'ameublement délaissé, il critique comme souvent l'abandon des traditions dans son pays en course vers la modernité.

 
 
 
 
 

Spécialement pour la Biennale, les artistes réfléchissent à occuper au mieux l'espace de leur pavillon. Pour la Belgique, l'artiste Berlinde de Bruyckere fait sensation avec Kreupelhout - Cripplewood réalisé cette année. Comme il est écrit sur le cartel présentant l'installation : "Kreupelhout n'est pas du bois mort mais quelque chose dans ses gènes, un mauvais héritage, un poison tord son ossature." D'où le jeu de mot avec le mot "cripple". Rejeté de sa forêt, il repose dans un pavillon peint de gris. Malgré ses dimensions impressionnantes (plus de 16 mètres) et ses moulages de cire à la morphologie humaine, il est inoffensif.

 
 


Entrer dans le pavillon accordé à Venise et voir s'élever une femme faite de fils de soie ondulant doucement au vent sur son panneau d'organza. La chinoise Yiqing Yin est l'auteur de cet In Between particulièrement gracieux. Né à Pékin en 1985, l'artiste est arrivée en France à l'âge de 4 ans et est aujourd'hui l'un des créatrices à qui ont prédit le plus grand avenir dans le monde du prêt à porter.

 
 


Sinon, on s'attendait à un barouf d'enfer avec les Hells Bells du pavillon polonais mais "pour des raisons légales et techniques", elles ne résonnent plus à heure fixe. Pourtant, l'installation de Konrad Smolenski offrirait un travail sur le son hors du commun.

 

Le Venezuela est le seul à donner une tribune au street art et par la même occasion célébrer Bolivar.

 

Le pavillon israélien se veut angoissant avec l'histoire de ce trou creusé en son sein. 


Et même si c'est toujours écrit Jugoslavia sur la façade, c'est bien la Serbie qui confie à Vladimir Peric et Milos Tomic la décoration de son pavillon : 3D Wallpaper for Bathroom, Tape Recorder's Family, Wallpaper for Children's room et Photo Safari.

 
 
 
 
 
 

Retour désormais à l'Arsenale où la visite de palais nationaux complète celle du Palazzo Enciclopedico. Alors qu'à Paris, à la Maison Rouge, une exposition rend hommage à Johannesburg, d'autres artistes sud-africains ont rassemblé leurs œuvres au sein du pavillon de la nation de Nelson Mandela. Des tableaux, photos, vidéos rappellent l'histoire lourde de ce pays mais ce sont les sculptures de Wim Botha que nous retenons. Les bustes furent réalisés avec un peu de bois et d'acier mais surtout avec des livres : bibles, dictionnaires, encyclopédies.. Study for the Epic Mundane, réalisée en 2013, est la plus impressionnante, défiant les lois de l'apensateur.

 
 
 

Le pavillon sud-africain est voisin des Emirats Arabes Unis et du Vatican. On descend quelques marches et on pénètre dans une enfilade d'hangars dont l'entrée est dissimulée par de lourds rideaux sombres. Impression  garantie en découvrant l'étrange ambiance du pavillon indonésien. Six artistes de ce pays rendent hommage à Sakti. Dans l'hindouisme et en sanskrit, cela est synonyme de puissance mais associée à l'énergie féminine : "divine feminine creative energy". A l'entrée du pavillon, c'est d'ailleurs bien une femme qui a l'air de présider cette réunion où certains hommes ne sont pas au mieux. On a l'impression de rentrer dans une sorte de temple traditionnel. Après avoir longé ce labyrinthe de céramiques (des minis stupas ou monuments funéraires du bouddhisme), on fait face à un pendopo, qui signifie pavillon. Ceux-ci étaient occupés par des personnes de haut-rang et rappellent l'époque coloniale. On en ressort en en ayant appris un peu plus sur la culture de ce pays. Sûrement l'un des objectifs de cette Biennale d'art contemporain.

 
 
 
 
 
Le pavillon du Liban présente une histoire pas banale, un beau message dans ce Proche Orient qui s'enflamme. En 1982, une histoire a circulé au Sud Liban, alors occupé par Israël. Un pilote israélien est chargé de bombarder une cible mais sachant que le bâtiment en question abrite une école, il ne le visera pas et lâchera ses bombes dans la mer. Le père d'Akram Zaatari, l'artiste choisi pour ce pavillon, a enseigné 20 ans dans cette école. Akram a longtemps pris cette histoire comme une fable avant d'apprendre la véritable identité de ce pilote. Son installation vidéo Letter to a Refusing Pilot s'inspire du Petit Prince ou encore Lettre à un ami allemand d'Albert Camus. Une documentation de qualité sous forme de journal est à la disposition de chaque visiteur pour mieux comprendre cette œuvre singulière. Tout près du pavillon libanais, nous nous retrouvons dans celui du Bahreïn. Un véritable livre est à disposition du public pour expliquer les œuvres sélectionnées. Plusieurs pièces s'imbriquent les unes dans les autres et au cœur de ce dédale, nous faisons face à une véritable fresque dont une femme est l’héroïne. Mariam Haji se représente entourée de purs-sangs aux muscles saillants dans The Victory réalisée en 2013. Née en 1985, l'artiste a suivi des études d'art en Écosse et à Melbourne, ville où elle a exposée depuis après quelques  opportunités dans son pays natal. Pour la deuxième participation du pays à la Biennale de Venise, l'occasion était belle de mettre en avant ces talents nationaux comme Maria Haji ou Waheeda Malullah, présente elle à l'Institut du Monde Arabe de Paris ainsi qu'au British Museum. On ne sait pas l'identité de cette femme voilée qu'elle représente esthétiquement sur ses photos, dans son quotidien de femme au Bahreïn : A Villager's Day Out.

 
 
 

L'ambiance est tout aussi sombre dans le pavillon de la Chine. On y voit des peintures plutôt académiques, des photographies pas si inspirées. Mais c'est clairement dans les vidéos 3D que les artistes chinois s'affirment face aux autres sites de la Biennale. Sur le haut mur ou sur des cubes ainsi éclairés, on apprécie la maîtrise de l'exercice vidéo par Miao Xiaochun : The Last Judgment of Cyberspace ou Out of Nothing. Il parle d' "algorithmic painting".


L'ambiance du pavillon des Bahamas est plus détendue même si on est aux antipodes des palmiers et du sable fin. L'Arctique est le thème choisi pour l'exposition de Tavares Strachan : Polar Eclipse. Il faut dire que l'artiste qui vit au Bahamas est plutôt fan des régions polaires. Il s'est lui même déplacé au Pôle Nord et a même participé à un stage d'entrainement pour cosmonautes au centre Yuri Gagarin en Russie. Dans ce pavillon, il peut à la fois maintenir un bloc de glace à moins 60 degrés ou se représenter à côté du drapeau de son pays pour tourner en dérision la course à l'Arctique des pays frontaliers. Et on aime bien aussi deviner les contours de son squelette quasi transparent.

 
 

Terminons le tour de l'Arsenale par une impression colorée dans le pavillon de l'Amérique Latine.


Sinon, l'art est tout autour de la ville. Le pavillon du Kenya est situé à deux pas de San Marco. Les touristes chinois très nombreux à Venise se prennent en photo devant les œuvres de leurs compatriotes comme Feng Zhengje.

 

Bien planqué dans une ruelle près du Palazzo Grassi, on finit par trouver The Enclave de Richard Mosse dans le pavillon irlandais. Des paysages voient la vie en rose alors que des vidéos rendent le lieu beaucoup moins paradisiaques avec une ambiance entre guerilla et souffrance de civils au Congo. Jugeant ce conflit ignoré de l'opinion publique, l'artiste a choisi symboliquement l'infrarouge.

 

Terminons par une installation qui n'est pas liée à un pavillon national. Bashir Makhoul et Aissa Deebi sont des artistes palestiniens. Ils ont garni le jardin d'une résidence de cartons. Pour eux, l'engagement artistique est par essence politique. Otherwise Occupied rappelle bien sûr l'occupation de colons israéliens tout en essayant par le "otherwise" de ne pas limiter l'existence de la Palestine à cette situation. Giardino Occupato évoque ci dessous les difficiles conditions de logement dans les villages et les camps de réfugiés. Cette occupation de jardin est certes beaucoup ludique quand on confie des objets coupants à des enfants qui donnent vie à ces cartons. Un message positif.

 
 
 
  

Texte et photos : Cyrille Blanchard

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