Quelle place pour l'Europe dans le monde ? - Les Carrefours de la pensée - Le Mans - 17/03/2013

Tous les ans, depuis 1990, se tiennent les Carrefours de la Pensée au Palais des congrès et de la culture du Mans. Cette manifestation est organisée par l'association du nom de l'événement en collaboration avec Courrier International. En 2011, la Chine était au programme. L'an passé, on se demandait "Comment nourrir le monde?". En 2013, c'est l'Union Européenne qui est au cœur du sujet. 


"Quelle Union voulons-nous ?" interroge le titre de ce week-end de conférences. Comme les années précédentes, l'association a réuni de nombreux spécialistes du sujet. Samedi 16, on pouvait rassembler Catherine Lalumière ancienne secrétaire-générale du Conseil Européen, ancienne députée européenne et vice-présidente du Parlement Européen. Accompagnée, par exemple, de Jean Paul Willaime, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études de la Sorbonne, elle a disserté sur la question de l'identité européenne. Revenons, parmi d'autres, plutôt longuement sur la passionnante conférence du dimanche 16 mars : quelle place pour l'Europe dans le monde ? Catherine André, rédactrice en chef adjointe de Courrier International, donne d'abord la parole à Nicole Gnesotto, vice-présidente de l'Institut Jacques Delors, le think tank Notre Europe. Cette dame est aussi professeure au CNAM et fut directrice de l'Institut d'études de sécurité de l'Union Européenne et fut chargée de mission de l'Institut Français des Relations Internationales. 


Elle qualifie d'emblée l'Union Européenne de "nain politique" et de "bébé stratégique". Elle reconnaît que l'U.E. agit mais ne sait pas expliquer ce qu'elle fait. Ce manque de performance diplomatique est l'héritage de la Guerre Froide mais aussi le fait que l'Union soit l'addition de 27 (bientôt 28) visions différentes. "Différentes" et non "divisées". Des différences entre des puissances nucléaires ou profondément antinucléaires comme la Suède ou encore des différences entre pays fondateurs et nouveaux arrivants. Pourtant, l'Union Européenne représente 19% du P.I.B. mondial, 20% du commerce mondial, 26% des réserves mondiales de change, 83% de la capitalisation boursière, 60% de l'aide publique au développement (1.7 milliard pour le Kosovo, le pays le plus aidé au monde). L'Union Européenne est le bras financier de la stabilisation des crises. Sans l'Union Européenne, l'OTAN ne pourrait pas réussir ses missions. Bien avant que Georges W. Bush lance une campagne militaire pensant créer un effet domino démocratique au Moyen Orient, l'Union Européenne avançait que la force militaire n'est pas le seul ou le premier instrument pour résoudre les crises. L'Union Européenne n'a pas d'image impérialiste ce qui rend son action légitime. Nicole Gnesotto est d'ailleurs confiante dans une influence grandissante de l'Union Européenne car les Etats Unis d'Obama s'orientent vers un "leadership from behind". Ces 700 milliards de budget militaire américain n'ont pas réussi à pacifier les territoires de crises et les priorités américaines évoluent vers l'Asie, la Russie, la "survie d'Israël" et le nucléaire. A ce sujet, l'Union Européenne est dans la négociation avec l'Iran sans envisager des solutions belliqueuses. Mais, la diplomatie européenne manque de visage. Pour elle, Catherine Ashton, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères, "représente hautement l'envie des Etats de ne rien faire". Après s'être vu refuser un poste important dans les institutions pour Tony Blair, les Anglais avaient réussi à imposer Catherine Ashton au moment où la tendance allait vers la nomination d'une femme de gauche, au moment où le PPE dominait les autres institutions dont Barroso à la Commission. Nicole Gnesotto rappelle pourtant la nécessité d'entendre la voix commune de l'Union Européenne qui pourrait représenter 22% des voix au F.M.I. contre 17% pour les Etats Unis. Puis, Francis Kpatindé prend la parole à son tour. 


Il est journaliste, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique et fut porte-parole du Haut Commissariat pour les réfugiés. Tout d'abord, il rappelle que la guerre au Mali est nécessaire car c'est la sécurité de l'Europe qui s'y joue : "la périphérie de Bruxelles." Il juge tout de même que l'intervention a 10 mois de retard car les terroristes ont pu contrôler le nord du pays et mettre en place des camps d'entraînement. Nicole Gnesotto rappela que la stratégie pour le développement et la sécurité du Sahel a été formulée en mai 2011 donc imaginée dès 2010. Elle admet qu'on retrouve encore ici les failles de l'U.E. dans la mise en œuvre de la politique. L'Afrique a un lien ancien avec l'Europe à travers la période coloniale. Les langues européennes y sont très présentes. Mais, l'Europe est aussi "une source d'inspiration". L'intégration régionale suit le modèle européen pour l'Union Africaine. Plusieurs pays ont la même monnaie, le franc CFA, par exemple. Par contre, il fait remarquer le manque de visibilité de l'U.E. en Afrique en raison d'une trop grande proximité avec les ambassades de chaque pays et la proximité avec les institutions de Bretton Woods. Il regrette aussi l'impression de rapport de force qui semble, à leurs yeux, exister entre la Grèce ou récemment Chypre et les institutions européennes. Enfin, il apprécierait que les observateurs européens puissent arriver plus tôt en amont des élections de pays africains puis en aval de celles-ci pour être sûr que, comme ils disent, "tout s'est bien passé". Il ajoute également que l'Afrique doit poursuivre ses relations commerciales avec la Chine sans tomber dans le néo-colonialisme. Au contraire, la présence de la Chine en Afrique donne accès à des produits auxquels les Africains n'avaient pas accès comme la téléphonie mobile en plein boom sur le continent. A son tour, Boris Toumanov commence son exposé. 


Correspond de la Libre Belgique (dont il a un léger accent), ce journaliste indépendant russe est spécialiste des relations internationales. Il affirme pour commencer que la Russie n'observe presque pas ce qui se passe en Europe. Pour lui, l'Europe n'a pas compris la chute du régime soviétique. Donc, il donne son explication. Pour lui, cela n'a rien à voir avec l'aspiration d'idéaux démocratiques contre l'article 6 de la Constitution soviétique mais que l'URSS s'est écroulée sous la bêtise de ses dirigeants ("Gorbatchev n'a rien fait pour empêcher le glissement de l'Union Soviétique vers sa catastrophe") et l'incompétence de son économie. Le peuple a eu accès à des produits occidentaux, exauçant ainsi son vœu mais s'était habitué à l'autoritarisme. Son absence de notion sur la démocratie explique pour lui la fidélité des Russes à Poutine, qu'il qualifie de "cancre", d'une "personnalité de médiocrité absolue". Il qualifie même le processus électoral de "corvée" pour les Russes, "un rite qui n'a plus de sens" par habitude de voter pour le "potentat du moment". Les relations entre la Russie et l'Europe restent pragmatiques pour le commerce du gaz et le pétrole. Sinon, il note surtout de l'indifférence, soulignant tout de même que 80% des Russes n'ont de tout façon pas l'argent pour voyager. Enfin, la journaliste grecque indépendante Alexia Kefalas prend la parole avec détermination. 


Elle est correspondante de Courrier International, du Figaro et de France 24. Pour elle, "le massacre de l'austérité" qui frappe l'Europe depuis 2009 n'a servi à rien. Avant de revenir sur son pays, elle s'appuie sur l'exemple d'actualité de Chypre pour la dénoncer. Le pays est en crise économique. Par exemple, l'explosion d'une centrale électrique et la remédiation qui suivit a coûté 2% du P.I.B. du pays. Il y a quelques jours, fut décidé que pour toucher un prêt de 10 milliards d'euros de l'Union Européenne, l'Etat Chypriote, sous tutelle, doit taxer à 9.9% les comptes en banque de plus de 100 000 euros et à 6.75% ceux de moins de 100 000 euros. Les Chypriotes ont passé le week-end devant les distributeurs de billets, souvent en vain car les comptes ont été bloqués dans l'attente du vote du Parlement. Elle évoque également le conflit entre la Turquie et la Grèce et le blocage turc pour pouvoir explorer les fonds marins de la Mer Egée et ainsi développer la manne pétrolière et gazière. Pour elle, l'Union Européenne n'agit pas en médiateur à ce sujet. Elle regrette également le fait que l'Union Européenne se distingue sur la scène diplomatique à l'extérieur du continent mais laisse finalement les populismes mettre en danger la démocratie sur son propre territoire. Nicole Gnesotto craint également que l'impuissance des Etats souverains à gérer les crises nourrissent les extrémismes. Faut-il revenir à un système plus keynésien demande un spectateur ? On rappelle que l'Etat grec n'a pas modifié non plus sa constitution pour imposer fiscalement l'Eglise orthodoxe ou les armateurs dont la marine marchande représente 18% du P.I.B. Pour Nicole Gnesotto, il faudrait certes que les Etats fassent des économies mais que l'Union dépense. C'est pour cela qu'elle est plutôt d'accord avec le fait que le Parlement ait bloqué le projet de baisse du budget avancé par le Conseil de l'Europe. En tout cas, Alexia Kefalas supporte mal les interventions des hauts fonctionnaires de la "troïka" (F.M.I., Banque Centrale Européenne, Commission Européenne) qui ne comprennent pas la "mentalité grecque". D'origine grecque, notre députée Marietta Karamanli interviendra plus posément depuis l'assistance pour rappeler la difficulté de l'intégration politique au sein de l'Union. Journaliste donc observatrice et non politique, Alexia Kefalas n'apporta pas de solutions mais participa avec conviction à ces 180 minutes d'échanges passionnants.

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