Peut-on faire la guerre au terrorisme ? - Rendez-vous de l'histoire de Blois - 11/10/2013

Manuel Valls était annoncé pour cette table ronde. Rama Yade était annoncée également. Finalement, aucun des deux n'est présent en cette fin de journée dans l'hémicycle de la Halle aux Grains de Blois. Autour de Jean Birnbaum (Le Monde et coordonnateur du Forum annuel du journal au Mans), nous retrouvons tout d'abord Elie Barnavi. Cet historien et diplomate israélien a vécu la guerre comme il en témoigne cette semaine dans Marianne : "peu après mes classes, lorsque le command car qui précédait le mien a sauté sur une mine et que j'ai passé un long moment à ramasser les restes de mes camarades déchiquetés. Et cela a été la fulgurante campagne des Six Jours en juin 1967". Il participa également à la première guerre du Liban en 1982 après avoir publié quelques semaines plus tôt une Histoire d'Israël aux Presses Universitaires de France en tant que maître de conférences de l'université de Tel-Aviv. Il définit dans cet article la guerre en utilisant son équivalent hébraïque (milkhama) qui renvoie à un état de fait avec laquel on a appris à vivre. Il parle ainsi de son pays tout en gardant son esprit critique d'historien. Et cette définition renvoie également au sujet de cette table ronde. Comment définit-on le terrorisme ? Peut-on parler de guerre ? A-t-on appris à vivre avec ? Au côté d'Elie Barnavi, spécialiste des guerres de religion du XVI et ayant donc la connaissance des guerres asymétriques, nous retrouvons Gilles Kepel. Professeur à Sciences Po Paris, il est le spécialiste de l'Islam et du monde arabe contemporain. Un de ses ouvrages références Jihad fut publié un an avant le 11/09. Elisabeth Sommier apporte aussi son éclairage de professeure de sociologie au département de science politique de la Sorbonne, spécialiste dans les liens entre violence et politique.


La notion de guerre au terrorisme trouve son origine dans le discours de George W. Bush  juste après les attentats du 11/09. Pourtant le terme de terrorisme est ancien. Robespierre considérait la terreur comme un adjuvant à la guerre contre la contre-révolution. Le terme fut associé aux assassinats politiques, à la guérilla espagnole contre la présence napoléonienne ou encore l'anarchisme, la propagande par le fait. Elie Barnavi insiste sur son évolution. Celui-ci est devenu massif. Il est partout, frappant les civils. Il rappelle les récents événements de Nairobi. Pour Élisabeth Sommier, parler d'une guerre au terrorisme n'a pas de sens. Pour cela, elle parle du Patriot Act. Les individus arrêtés par les Etats-Unis puis enfermés par exemple à Guantánamo sont appelés "ennemis combattants" et non "soldats" répondant à la Convention de Genève. Pourtant, comme le rappelle Gilles Kepel, les islamistes se considèrent eux comme des soldats. Le politologue évoque le seul verset du Coran qui pour lui concerne le sujet : "rassembler tout ce que vous pouvez afin de terroriser les adversaires". Les Ottomans avaient par exemple réalisé une pyramide des crânes de leurs victimes dans le sud du Péloponnèse en 1500. La terreur est aussi dans la mise en scène. Dans ce sens, les attentats du 11 septembre répondaient à cette scénarisation. 


Faire la guerre reviendrait à détruire son efficience mais aussi à atténuer la dimension propagandiste du jihad. Mais, au final, les guerres qui ont suivi le 11/09 ont, d'après lui, renforcé la décentralisation du réseau terroriste. Merah en serait le résultat. Les cibles des terroristes islamistes sont des Juifs, des soldats et de mauvais musulmans. Car comme le rappelle Elie Barnavi, on retrouve parmi les musulmans le plus grand nombre de victimes des terroristes. On retrouve cette ligne de clivage entre les sunnites et les chiites comme entre les protestants et les catholiques des siècles plus tôt. On vise ceux qui n'entrent pas dans cette logique de victimisation. On pense à la jeune pakistanaise Malala Yousafzaï qui avait dénoncé les violences commises par les Talibans contre les écoles pour filles. Elle a reçu le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit du Parlement Européen et était en lice pour le prix Nobel de la Paix. Gilles Kepel rebondit sur cette explication des motivations de terroristes en racontant une anecdote personnelle. En effet, il y a quelques mois, alors à Londres, il reçoit un coup de fil de sa femme, navrée de lire dans la presse qu'un terroriste revendiquait un ouvrage de son mari comme sa principale influence, à côté du Coran. En effet, le journal suisse Le Matin avait retranscrit le témoignage d'un français d'origine coréenne qui avait été converti dans une prison suisse puis avait rejoint le djihad en Syrie. Son livre de référence était Jihad. Formidable orateur, Kepel réussit même à détendre l'assistance sur un sujet aussi grave. Jean Birnbaum, un de ses anciens élèves, s'inquiéte avec amusement des vocations qu'il pourrait faire naître sur les bancs de Sciences Po.


Il en profite pour relancer le débat sur la question de la surveillance. Le terrorisme s'est intégré à nos modes de vie. Elisabeth Sommier s'émeut du fait que cela ne fait pas plus débat que ça en France. Le fait que le terrorisme soit attentatoire aux libertés publiques ne choquerait plus ? Le droit de manifester subit de plus en plus de restrictions. Des organisations alter mondialistes subissent des arrestations préventives avant des rassemblements. Et l'usage de drones choque-t-il ? Les partisans de la contre insurrection de type colonial pensent que ces assassinats ciblés, cette chasse à l'homme ne sont bons qu'à souder les communautés autour des islamistes. On pourrait diffuser un extrait de la série Homeland dont la saison 3 vient de commencer. Pour Gilles Kepel, c'est l'intérêt économique qui prime dans l'usage de drones après les gouffres financiers des guerres en Afghanistan et en Irak. Elie Barnavi insiste aussi sur le fait d'exposer le moins possible ses propres troupes. Il évoque Israël et son armée peu nombreuse, à préserver. Il évoque la Guerre du Golfe de 1990-1991 ou encore le soutien américain au djihad contre les communistes en Afghanistan plus tôt. Financé par les Saoudiens, équipé par la C.I.A., Ben Laden était alors un "freedom fighter". Les Américains n'ont en rien gérer l'après guerre, le "désœuvrement" des talibans qui eurent alors le champ libre.

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