Winter Sleep

Nuri Bilge Ceylan est le réalisateur et co-scénariste de Winter Sleep palme d'or 2014 du Festival de Cannes. Il déclarait récemment : "on dit que je filme des paysages, alors que je fais des portraits dans la nature". L'affiche du film est ainsi très bien choisie pour répondre à cette affirmation. Il ne faut pas s'imaginer que pendant 3h16 le spectateur va admirer les certes magnifiques paysages de Cappadoce. En effet, quand on les découvre à l'écran, ils sont éblouissants été comme hiver. Le personnage principal Aydin est propriétaire d'un hôtel pour touristes aventureux de ces espaces montagneux de Turquie. Mais Nuri Bilge Ceylan a préféré centrer le propos sur les relations plutôt conflictuelles qu'Aydin entretient avec sa sœur et sa femme, beaucoup plus jeune que lui. On peut penser qu'Hidayet est aussi un acteur clé de l'histoire à la vue de la première scène du film où il va ramener le fils vengeur d'un des locataires d'Aydin mauvais payeur. Mais par la suite, toutes les attitudes d'Hidayet témoignent de sa surbordination. Face à Ismail et Hamdi, son frère imam, Aydin notable de ce territoire reste en retrait et fait preuve d'humanité. Mais pourtant ce film si révélateur de la nature humaine met en lumière un héros qui est habitué à ce qu'on lui obéisse. A part cette première scène, les langues ne se délient pas dans les grands espaces d'Anatolie mais à l'intérieur d'un foyer qui n'en est pas un. Nuri Bilge Ceylan privilégie de très longues scènes dialoguées pour exprimer des sentiments étouffés par les habitantes de ce lieu et par le comportement d'Aydin. Dans une société du XXIe siècle où l'on privilégie les messages courts et les phrases qui se coupent par des "voilà quoi", c'est un vrai bonheur d'assister à ces joutes verbales (dans la dynamique de la langue turque).


"Ne pas s'opposer au mal" serait un bon sujet de philosophie développé par Necla, sœur d'Aydin. Si elle considère que la réflexion est son travail quotidien, l'oisiveté la fait gamberger. Elle l'amène à regretter son ex mari à qui elle a demandé le divorce. Et si elle ne s'était pas opposée au mal, aurait-il changé en regrettant de la blesser ? Aydin n'a que peu de compassion. On le devine de plus en plus seul, retrouvant le sourire à travers quelques phrases toutes faites avec des touristes de passage. Nuri Bilge Ceylan traduit cet enfermement grâce à la scène du rapt du cheval sauvage voulu par Aydin. Sa capture offre une scène d'une beauté incroyable. L'étalon, fatigué de sa lutte, respire profondément. Tout comme le fera ce lièvre mi mort ramené comme un trophée à l'Othello, la demeure hôtelière. Aydin est souvent très fier de lui et on lui reproche son arrogance. Il est flatté des quelques lettres qu'il reçoit d'admiratrices de son travail d'éditorialiste pour une presse locale. Il reconnaît tout à fait que sa carrière de comédien avait fait rêver la jeune Nihal qu'il épousa. Il se défend de ne s'être jamais vendu pour la télévision. On note ici la malice des scénaristes. Haluk Bilginer et Melisa Sözen, les deux acteurs interprétant les protagonistes, font surtout carrière à la télévision justement. Le premier a joué sur scène et dans le petit écran des classiques britanniques, My Fair Lady ou Eastenders. La seconde mériterait aussi une carrière internationale, très belle femme à l'interprétation touchante. Nihal vit mal le fait d'être à ses crochets mais ne fait rien pour s'en sortir vraiment. La scène où elle s'invite chez les locataires précédemment cités nous fait comprendre qu'elle s'est habituée à la grande vie. Ce thé n'est pas à son goût ? Elle se plaint de l'arrogance d'Aydin mais elle peut aussi être considérée comme tel même si elle se démène pour des projets humanitaires. La mise en scène de la confrontation entre Aydin et Nihal est aussi longue et forte que celle entre Aydin et Necla. Le réalisateur joue sur les ombres et les lumières pour nous montrer les visages comme jamais. Cette expérience ne peut se vivre qu'au cinéma. Il faut un véritable grand écran pour servir le travail du cinéaste. On pense autant au théâtre pour l'intensité de l'échange qu'à un tableau de maître pour les nuances des traits mais seul le cinéma peut magnifier d'autres expressions artistiques pour aboutir à un tel résultat. C'est sûrement plus confortable de voir ce long et grand film en période de vacances quand le temps compte moins et la fatigue s'évapore. Il est vrai que dans ces circonstances 200 minutes de cinéma en version originale passent très bien. Les tableaux s'enchaînent avec ce qu'il faut de rebondissements et l'humour n'est pas absent. Une des dernières scènes du film est d'ailleurs assez culte : cet échange de fin de soirée alcoolisée entre Aydin, son ami Suavi et l'instituteur Levent qui se termine sur des citations de Shakespeare. Du grand art.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Metallica/Gojira - Stade de France - Saint Denis - 12/05/2012

Miam Miam

Sebastiao Salgado - Genesis - Natural History Museum - London