All the World's Futures - Biennale Arte 2015 - Venezia

159 œuvres furent réalisées spécialement pour cette Biennale 2015. On les retrouve tout autour de la ville mais les deux plus imposants lieux dédiés à l'événement se situent comme toujours à l'Arsenale et au Giardini. Le Nigérian Okwui Enwezor est le curateur de cette 56e édition. Il a enseigné à San Francisco, vit en partie à New York depuis plus de trente ans et travaille à Munich. Mais on remarque que c'est la premier africain à donner le ton de cet événement, au cours d'une carrière le liant aux plus grands musées du monde. Cet homme incarne la globalisation et souhaitait que les artistes de la Biennale transmettent leurs visions d'un monde en mouvement. Tous les deux ans à Venise, on prend le pouls, la température artistique de la création contemporaine. Visiblement, le chaos inspire. Le voyage fut bien plus passionnant qu'il y a deux ans en ces mêmes lieux même si l'Arsenale reste toujours le moins accessible. Tout d'abord, une grande place est accordée au dessin.


RIRKRIT TIRAVANIJA est né fils de diplomate thaïlandais à Buenos Aires et s'y connaît donc en voyage. Il nous propose de nombreux Demonstration Drawings datant de 2007 puis 2015. Le coup de crayon est globalement plus sombre sur les dessins plus récents. Les sujets d'actualité s'expriment.



L'artiste russe OLGA CHERNYSHEVA opère dans un style assez proche mais ne se pose pas en opposante. Le style du Tunisien NIDAL CHAMEKH est plus surréaliste même si le titre semble dur, De quoi rêvent les martyrs. Ce diplômé de la Sorbonne nous dit que le dessin est un commencement sans jamais être une fin. Cette fin, "l'homme n'y pense pas mais le martyr la provoque".


MASSINISSA SELMANI, artiste algérien issu de l'école supérieure des beaux-arts de Tours, nous demande A-t-on besoin des arbres pour se souvenir ?. Il pose surtout la question de l'accueil des migrants.

Le Nigérian KARO APKOKIERE ajoute de la couleur et du texte à son œuvre Zwischen Lagos und Berlin. Son message de l'Europe à l'Afrique est on ne peut plus d'actualité.

 
 

ABU BAKARR MANSARAY, originaire du Sierra Leone, est plus extra terrestre dans sa façon de représenter les choses. Il imagine des tas de machines futuristes, esquisses de films de séries Z. Cet homme a une imagination de fou qui servirait à plus d'un album de death metal ou de psyché voivodien.

 

L'autre point commun entre les salons du Giardini et de l'Arsenale est l'élévation. FABIO MAURI nous accueille avec son mur de valises, prêtes au grand départ près de cette échelle de Jacob. TERRY ADKINS titille le musicien avec Muffled Drums, aussi vers la staiway to heaven. Paradis des artistes qu'il a rejoint l'an passé à l'âge de 60 ans. Ce saxophoniste de jazz à ces heures avait tout résumé de son travail : "“My quest has been to find a way to make music as physical as sculpture might be, and sculpture as ethereal as music is".

 

De chaque côté de la photographie ci-dessus, on devine deux sculptures, les premières d'une longue série dessinant comme une haie d'honneur.  MELVIN EDWARDS est un artiste afro-américain connu pour ses Lynch Fragments. De loin, on croit à des masques tribaux. De plus près, des objets d'acier sont soudés entre eux pour former un ensemble inquiétant, témoin des souffrances du peuple de son continent d'origine.

D'autres artistes témoignent de l'histoire américaine. Les photographies de WALKER EVANS ont documenté la Grande Dépression des années 1930. Parmi les nombreux clichés, on retient le regard fier et triste de Bud Fields, chef de famille dans l'Alabama.


Le 4 mai 1970, des étudiants manifestant contre les bombardements américains au Cambodge furent tués par balle dans l'Ohio, les tristement fameux Ken State Shootings. Entre le 20 juin et le 20 septembre de cette même année, HANS HAACKE avait placé deux urnes de vote au MOMA. Les visiteurs devaient voter "yes" or "no" à la question suivante : "Would the fact that Governor Rockefeller has not denounced president Nixon's Indochina policy be a reason for you not to vote for him in November ?" Nelson Rockefeller se présentait pour un nouveau mandat de gouverneur quelques mois plus tard et pour des artistes comme Haacke, la question de la politique extérieure ne pesait pas assez dans le débat. Il faut aussi savoir que la famille Rockefeller est à l'origine de la création du Moma et toujours dans le board. Le "yes" l'emporta au musée mais il fut tout de même réélu ultérieurement. Haacke aime bien les sondages et il nous en propose un, auquel nous pouvons répondre grâce à quatre tablettes tactiles disposées dans la pièce (World Poll 2015). Voici l'état des résultats le 17 juillet dernier. 23% des visiteurs ont entre 25 et 35 ans. A 27%, ils vivent en Europe de l'ouest. 40% d'entre eux ne travaillent pas dans l'art. 58% ont fait des études supérieures et 44% gagnent moins de 20 000 euros par an. 42% dépensent entre 1 et 1000 euros dans des œuvres d'art au cours d'une vie. Après ces présentations d'usage, les questions sont forcément plus politiques. 42% des visiteurs sont contre la politique étrangère des Etats-Unis et 73% contre celle de la Russie. 74% des votants sont pour la création d'un Etat Palestinien. 53% considèrent que les chefs d'état n'en font pas assez contre le réchauffement climatique. 61% aimeraient davantage d’État Providence au lieu d'une politique d'austérité dans l'Union Européenne.


TETSUYA ISHIDA, artiste japonais décédé en 2005 heurté par un train, a un style que l'on pourrait rapprocher d'un street artist comme Seth mais le propos est plus sombre, claustro. Il décrit les dérives de la société de son pays.


Les têtes d'affiche ne sont pas à la hauteur de l'événement. Les huit grands tableaux de Baselitz doivent coûter une fortune mais renforcent dans l'idée de l'absurdité de l'art contemporain business. Les photos de son compatriote millionnaire Andreas Gurski sont anecdotiques. Dans l'obscurité de la première salle  de l'Arsenale, Adel Abdessemed a constitué pleins de Nymphéas avec des sabres, éclairés par les installations en néon de Bruce Nauman. Et on voit Abdessemed écrire au crayon Also Sprach Allah sur un tissu tendu au plafond tout en se faisant balancer en l'air vers ce support. Le tissu est exposé.. MARLENE DUMAS sauve l'honneur des riches avec sa collection de Skulls. Et JEREMY DELLER, en charge l'an passé du pavillon britannique, est devenu incontournable. Son juke-box de bruits d'usine publiés par Factory Records est assez excellent.

 
 

En 2012, Okwui Enwezor avait été curateur d'une Triennale du Palais de Tokyo (article de Band Meeting ici). Ce n'est donc pas étonnant de retrouver certains artistes en commun. Le Roumain VICTOR MAN joue toujours aussi finement sur les contrastes (difficiles à photographier). Sinon, le Camerounais  BARTHELEMY TOGUO nous interpelle avec ses slogans connus (Urban Requiem, 2015).


Enfin dans l'Arsenale, pendant qu'ERNESTO BALLESTEROS réalise la performance de fabriquer et faire voler de fins avions de bois, nous découvrons LORNA SIMPSON et WANGECHI MUTU. En 1989, Lorna fut la première femme noire à être présente à la Biennale de Venise. Cette année, il y a plus de 35 artistes d'origine africaine dont ses deux femmes qui comptent dans l'art contemporain.

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