Dheepan

En 2015, au Festival de Cannes, les Frères Coen, Rossy de Palma, Sophie Marceau, Sienna Miller, Rokia Traoré, Guillermo del Toro, Xavier Dolan et Jake Gyllenhaal ont attribué le prix le plus prestigieux à Dheepan, le nouveau film de Jacques Audiard. Depuis, les journalistes ne cessent de dire que le palme n'est pas méritée. Comme si les talents cités précédemment n'auraient pas fait le bon choix.. Des sensibilités différentes visiblement, ce que l'on peut comprendre. Le précédent film de Jacques Audiard, De Rouille et d'Os, ne me plut personnellement en rien. Pourtant, cela reste son plus gros succès commercial. Depuis Regarde les hommes tomber en 1994, le cinéaste ne s'était pourtant pas trompé, avec Un Prophète comme référence. Malgré des défauts incontestables (non je ne vais pas raconter la fin..), Dheepan redresse la barre. Le sujet est original mais aussi terriblement ancré dans une réalité que beaucoup ne voudrait pas montrer avec autant de réalisme. Jesuthasan Antonythasan est Dheepan et le film raconte, en partie, sa vie. Jesuthasan a rejoint à l'adolescence les Tigres de libération de l'Ilam Tamoul, mouvement séparatiste au Sri Lanka. Une guerre civile existe dans le pays depuis 1976. Le mouvement est considéré comme terroriste dans le monde entier. En mai 1986, une bombe fait exploser un avion tuant des voyageurs occidentaux. Cette même année, Jesuthasan décida d'arrêter la lutte armée. Il trouva l'asile politique en France en 1993. Dans le film de Jacques Audiard, très peu de scènes montrent les combats au Sri Lanka. La fiction dépasse la réalité car Dheepan ne rejoint pas notre pays avec sa sœur et son frère mais avec une femme qui n'est pas la sienne et une jeune fille qu'il ne connaît pas. Elles vont devenir sa nouvelle famille, remplaçant la sienne qui a péri. Dans la "vraie vie", Jesuthasan a perdu de nombreux membres de sa famille mais ses parents ont réussi à se réfugier en Inde. 


Dheepan, Yalini et Illayaal se retrouvent donc "lost in translation" à Paris puis dans la cité sensible de La Coudraie, dans les Yvelines, en périphérie de Poissy. La Coudraie est à 25 kms de Paris, à 3kms du terminus de la ligne A du RER, entre deux autoroutes. En 2004, au cœur de la désindustrialisation et des trafics, on décide de la raser puis, avec le nouveau maire de gauche, un projet de réhabilitation d'envergure est décidé sous l'égide de l'ANRU. Après avoir vu le film, un coup d’œil au site de ce projet vaut le détour : ici. Ce changement n'est pas encore maintenant mais la situation est bien plus apaisée que le montre ce film qui a, par ailleurs, employé moult habitants du quartier pendant le tournage. Pourtant, les scènes sont tout à fait imaginables dans d'autres barres d'immeubles de nos "grands ensembles" hérités des années 60. Le non-droit règne et le "commerce" se règle à coups de feu. L'acteur Vincent Rottiers joue vraiment bien sur l’ambiguïté de la situation. "Don't you know what is like to be a very bad man behind blue eyes ?" semble-t-il nous dire. Il veut contrôler son quartier mais la violence pure ne serait-elle pas la solution des faibles quand ils ne gèrent justement plus rien. Dheepan n'est pas un faible en apparence. Même dans son job de gardien d'immeuble bricolo et serviable, sa cause tamoul lui tord les boyaux et la violence de son quartier fait écho à son passé de "soldat". Les scènes de transe ou les apparitions subliminales de cet éléphant apportent un regard contemporain assez intéressant. A ce sujet, Jacques Audiard s'est entouré, pour ce film, de la jeune Eponine Momenceau et la collaboration semble assez fructueuse. Yalini ne ménage pas Dheepan. Elle n'est pas sa femme et elle ne la sera jamais lui fait-elle comprendre. Mais cette relation peut aussi s'équilibrer autour des rares repères qu'ils ont en commun, leur langue ou l'enfant qui partage leur vie. C'est autour de ces idées que le film trouve tout son intérêt. Leur apprentissage du français par petites touches pour les adultes ou par la poésie pour Illayaal est très touchant. Comment les migrants peuvent-ils s'intégrer avec des interlocuteurs qui leur parlent à toute vitesse ? Plus tard, Dheepan reconnaît qu'il comprend tous les mots d'une conversation mais pourtant celle-ci ne le fait pas rire comme tous les autres. "Mais Dheepan, même en tamoul, tu n'as pas d'humour..!" lui rétorque Yalini. Certes, Jacques Audiard aurait pu creuser sur l'identité des migrants dans leur pays d'accueil mais c'est aussi à travers ce contexte social d'une cité violente en France qu'un message plus universel est transmis.

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