Ca ira (1) Fin de Louis - Les Quinconces - Le Mans - 09/04/2017

Il fait beau. Nous pourrions oublier "la banqueroute et le désordre", une campagne présidentielle indécise et agitée. Mais beaucoup de Manceaux ont fait le choix, cette semaine, de s'enfermer dans la grande salle des Quinconces pendant plus de 4 heures et 30 minutes. Le temps pour Joël Pommerat et sa formidable troupe de nous jouer les événements qui ont changé notre pays du printemps 1789 et la décision de Louis XVI de convoquer les États Généraux du Royaume au printemps 1791 et la volonté de Louis XVI de s'opposer méthodiquement à la Constitution naissante. "Vous verrez ça ira. Juste un peu de patience et de sang-froid, et ça ira.." confie-t-il avant de s'éclipser à la fin de cette épopée théâtrale. On espère désormais fébrilement que Joël Pommerat relance ses heures d'écriture de plateau pour "créer" la suite. De la fuite de Varennes jusqu'à la mort du roi. Cela donnerait un magnifique Ca ira (2) Fin de Louis avec une reine encore plus cynique. 


En étant un temps soit peu éclairé sur le sujet, on comprend bien la chronologie et les atermoiements des différents protagonistes. Le pays court à la faillite. Le roi et son gouvernement doivent trouver une solution à la crise. Les États Généraux sont convoqués. L'élection des représentants s'organise dans les districts. Réunis à Versailles, les députés du Tiers Etat font scission pour rédiger une constitution pendant que des violences éclatent à Paris puis dans les campagnes, du 14 juillet à la nuit du 4 août. Le roi se rallie à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le peuple a toujours faim et la marche des femmes pousse le Roi à rejoindre Paris, où lui et sa femme se sentent prisonniers. Mais, "ça ira". Necker est devenu Müller et prend le titre de "premier ministre". Ce choix de vocabulaire parmi tant d'autres ("emplois réservés", "terrorisme" souvent répété) correspond à une volonté de nous plonger dans l'histoire tout en se croyant en permanence dans la vie politique actuelle. Les acteurs ne sont évidemment pas en costumes d'époque. Ils portent leurs trois pièces comme dans le Antigone de Van Hove. Le choix d'un décor so(m)bre et imposant est aussi très proche de la mise en scène de cette pièce. Le vocabulaire employé est actuel donc et certains physiques rappellent nos politiciens, Christiane Taubira, Nadine Morano et tout le spectre est présent de l'extrême droite à l'extrême gauche. Les thèmes sont récurrents. On parle de crise économique et sociale, de privilèges, d'un bien, rue de Turbigo, non déclaré par Lefranc, députée qui se revendique proche du peuple. C'est aussi une vive incarnation de la démocratie représentative. Un peu trop vive qu'elle est en vient au désordre. Le parallèle devrait s'arrêter là. Les débats à l'Assemblée Nationale aujourd'hui ne sont sûrement pas aussi irrespectueux et criards. Sûrement pas.. Porté par ces élans lyriques, on se dit que la souveraineté nationale est un acquis immense mais nos représentants le comprennent-ils, en train de s'écharper en permanence ? Nous sommes en 1789-1791, il y a un roi incontesté, aimé par certains, méprisé par d'autres. Un roi "normal" ? Joël Pommerat le met en scène dans une entrée fracassante sur fond "The Final Countdown" d'Europe. Plus tôt, une journaliste espagnole ambiance en version originale son discours d'inauguration des États Généraux. La mise en scène arrive même à nous faire voir la médiatisation à outrance de la vie politique. Ces nouvelles qui freinent en permanence le travail de l'assemblée ou encore l'irruption d'un témoin de ce qui se passe au-delà de Versailles rappellent la frénésie des chaînes d'info en continu. On retrouve les codes du théâtre contemporain interactif avec les députés tout autour des spectateurs comme si nous en étions. La bande d'acteurs de Joël Pommerat a abattu un travail absolument phénoménal pour devenir ces femmes et ces hommes de la Révolution. Même s'ils ne sont pas sur scène face au public, ils ne sortent jamais de leurs rôles. Leurs visages ne trahissent jamais une quelconque décontraction. Ils incarnent tous plusieurs personnages aux contours et contenus totalement différents mais réussissent à nous transporter dans leur rhétorique à chaque fois. La performance demande également une maîtrise incroyable pour porter la voix fortement (joli travail de l'ingénieur du son pour "balancer" tous ces mots) tout en respectant une diction très exigeante. Dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle, gardons cette énergie en nous et ne cédons pas à la "banqueroute" et au "désordre". 

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