Tenet

Christopher Nolan est le cinéaste de l'art du mouvement, de la mobilité. Dans Inception, les personnages se déplaçaient au gré de l'architecture des rêves créés ("a dream within a dream"). Dans Dunkerque, les Anglais devaient quitter la France à tout prix, acculés par les Nazis. Dans Interstellar, c'est la Terre qu'il faut quitter. Le rapport au temps est pour lui, toujours élastique, brisant les perceptions avec la nuit qui n'arrive jamais dans Insomnia ou les chronologies inversées de Memento entre scènes noir et blanc et d'autres en couleur. Tenet ne surprend donc en rien l'habitué des films de Nolan. S'ajoute pourtant une dimension géopolitique très intéressante à cartographier pour mettre en évidence les flux en cours, dans une narration très elliptique. La violente scène d'ouverture ne peut que rappeler la prise d'otages du théâtre Doubrovka de Moscou en 2002 et son dramatique épilogue. Le réalisateur britannique met, au cœur de son histoire, la Russie face au séparatisme, au terrorisme, à la gestion de son arsenal nucléaire passé, actuel, futur. Mais il n'est jamais question d’État dans le film. La CIA et le MI6 sont cités mais sans jamais vraiment comprendre réellement leur implication. Il est plutôt question de crime organisé. Ce sont les puissance émergentes qui mènent la nouvelle Guerre Froide. Les scènes en Inde confrontent-elles les spectateurs au passé colonial britannique et l'inversion de puissance au XXIe siècle ? Les criminels profitent du marché de l'art pour blanchir leur argent. Nolan utilise donc ce fait pour amener le spectateur vers des zones hors du temps et de l’État de droit : les zones franches des aéroports (européens) où les œuvres échappent aux règles de taxation en vigueur. C'est ainsi très bien vu de placer les interfaces vers les dimensions parallèles dans ces territoires. Tenet nous montre les rouages de la mondialisation que le consommateur ne mesure pas : les terminaux d'aéroports de fret et les longs voyages en porte-conteneurs. Sur sa carte du monde, il veut aussi nous rappeler l'existence des centres de stockage de déchets nucléaires, héritiers d'un monde de guerre froide mais aussi fruit de notre consommation quotidienne. Quelle pourcentage d'électricité issue du nucléaire pour faire tourner les cinémas et les plateformes de streaming dans le monde ? Comme pour Interstellar, Christopher Nolan cherche (de façon complexe) à nous alerter sur le réchauffement climatique, nos pratiques destructrices et menant à l'effondrement. Inévitable ? Pas selon The Protagonist : le nom du personnage principal dans le film, James Bond particulièrement robuste et habile. Même si le film nous projette dans le futur avec de nouvelles armes non conventionnelles de destruction massive, il ne prend pas le pli du cyber. Il n'est pas question d'attaque informatique ou d'avancée scientifique. Tenet est avant tout un film physique dont certaines scènes sont bluffantes. La belle Kat est fin prête pour le Vendée Globe et Neil pour Koh Lanta. Pas sûr que Sator réussisse les tests cliniques pour y participer mais Kenneth Branagh réussit une superbe performance de méchant qui a quelques notions en torture. Enfin, la chorégraphie des corps et objets inversés est une vraie belle réalisation vidéo d'art contemporain. Il est difficile donc de chercher à maîtriser tout ce que nous propose l’œuvre dense de Christopher Nolan mais chacun peut en tirer quelque chose. Et souvent l'inverse de son voisin. 



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