Soeurs - Les Quinconces - Le Mans - 11/03/2015

Le public manceau connaît bien Wajdi Mouawad. Les créations de son cycle Le sang des promesses furent jouées dans la ville. Son œuvre la plus connue Incendies fut aussi très bien retranscrite au cinéma et le fit connaître d'un public plus large tout comme l'initiative de proposer à Bertrand Cantat de mettre en musique du Sophocle. Après Seuls, il nous livre, avec Soeurs, la deuxième pièce de son autre cycle. L'artiste réussit à garder notre esprit critique et conscient au fil de plus de deux heures de spectacle reposant sur une actrice en scène, Annick Bergeron. Son premier et principal personnage conserve son patronyme et elle devient Geneviève Bergeron, avocate médiatrice de conflit international. Un trajet de voiture sous une tempête de neige de Montréal vers Ottawa, siège d'une conférence à laquelle elle doit assister, nous apparaît en storyboard autour d'elle. Même si l'on comprend que la relation avec sa mère est parfois ombragée, la situation est encore sereine. Au Canada, depuis 1969, l'anglais et le français sont reconnus comme langues officielles. C'est bien moins un problème pour elle que pour sa mère que d'aller d'une langue à l'autre. Mais dans la capitale fédérale où Geneviève doit passer la nuit, les anglophones sont bien plus nombreux et la voilà à se battre contre la reconnaissance vocale de sa suite d'hôtel. Les situations sont cocasses et surréalistes avec ce réfrigérateur qui n'accepte pas de nouveaux produits et débite le compte en banque frénétiquement. L'actrice joue donc d'abord sur l'humour et cela fonctionne très bien. Puis, la situation dégénère. La narration de Wajdi Mouawad s'accompagne toujours de l'idée de rupture. Pour Soeurs, cela ne passe par l'incendie d'un bus mais plutôt par le thrashing d'une chambre, sûrement la scène la moins convaincante en soi. Pourquoi faut-il toujours accompagner une expression scénique violente par une mauvaise bande son ? L'émotion ne passe pas du tout dans l'agression. Par contre, le tableau de ce chaos gagne en poésie quand le calme est revenu. "There's enough blue in the sky to make a sailor's suit" répète-t-on à plusieurs reprises à travers la pièce. L'apaisement après la tempête. Loin des bisons, du cruel manque de sa sœur de cœur, Geneviève Bergeron a trouvé un refuge autour duquel on s'affaire. Annick nous confirme par la suite sa capacité incroyable à endosser différents personnages aux expressions et voix très contrastées du québecois à l'orientale. Maîtrisant une composition vocale très large, sa vie professionnelle l'amène à donner aussi des cours de diction et de doublage. Mais, le fil rouge de tous ces rôles demeure ce besoin vital de filiation, l'héritage d'une terre, d'une langue, d'un patrimoine. Wajdi Mouawad vit depuis plus de trente ans au Canada mais toujours et encore son pays, le Liban, est au cœur de sa réflexion. Des trous creusés dans son décor s'illuminent des lucarnes, des failles à combler fraternellement pour que les peuples puissent coexister dans ce monde de brutes.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Metallica/Gojira - Stade de France - Saint Denis - 12/05/2012

Miam Miam

Sebastiao Salgado - Genesis - Natural History Museum - London